Des injonctions paradoxales

Plusieurs éléments nécessitent, à nos yeux, de sérieux éclaircissements sur la conduite à tenir en cas d’épidémies, en particulier en matière d’infections respiratoires aiguës. Nous, biologistes, comme l’ensemble des professionnels de santé, devons faire face à des injonctions qui nous semblent pour le moins paradoxales entre les instructions de la Direction générale de la santé et celles de Santé publique France, d’un côté, et les recommandations de la HAS, de l’autre :

• Les uns, au travers de directives liées à l’émergence de risques de grippes zoonotiques (aviaire et porcine), sont favorables à des tests PCR de dépistage réalisés en ville, en raison des données précises et fiables qu’ils fournissent, et qui sont transmises en temps réel par les laboratoires de biologie médicale aux autorités sanitaires. Ces dernières peuvent ainsi suivre précisément l’évolution des épidémies et réagir en conséquence.
• L’autre estime, dans une recommandation de décembre 2024, qu’il n’y a pas pour le moment de pertinence à réaliser des tests PCR grippe en ville, alors que la pratique des tests antigéniques est largement répandue en médecine de ville.

D’autre part, un débat public se développe autour de notre préparation, ou de notre impréparation, à de futures pandémies, comme l’estime William Dab, ancien directeur général de la Santé, dans un article du Monde daté du 26 février.

Du flou dans la stratégie de dépistage

Nous pensons, en ce qui concerne notre expertise, à savoir le dépistage et le diagnostic, qu’il serait utile d’établir une doctrine solidement étayée par des arguments scientifiques afin de mettre en place une stratégie à la fois efficace sur le plan sanitaire et pertinente au regard de l’usage des deniers publics. Cette stratégie doit, à notre sens, être construite autour de deux objectifs :

• l’efficacité et la sécurité du diagnostic des patients pour leur prise en charge ;
• la qualité de la surveillance et du suivi des épidémies.

À ce titre, nous demandons qu’une meilleure articulation soit établie entre l’usage des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) et celui des tests PCR en laboratoire de biologie médicale. Nous estimons qu’il existe une marge d’optimisation importante, à la fois sur le plan médical et économique.

Des techniques complémentaires mais pas équivalentes

• Pour rappel, les tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) se répandent de plus en plus et voient leur usage facilité par leur disponibilité en pharmacie et dans les cabinets médicaux. Si cette technique présente des avantages certains, elle souffre encore de faiblesses importantes en matière de fiabilité et de sensibilité.
• Les tests PCR, réalisés en laboratoire de biologie médicale par les biologistes et leurs équipes, apportent, eux, une garantie de qualité et de précision aujourd’hui inégalée et évitent ce que l’on appelle les faux négatifs. Ils présentent l’avantage d’être fiables, sensibles, répétables et comparables, puisqu’ils sont réalisés sur tout le territoire par des laboratoires accrédités garantissant la qualité des résultats.

En outre, ces résultats alimentent le Dossier Médical Partagé (DMP) et sont transmis aux autorités sanitaires, qui peuvent s’appuyer en toute confiance sur ces données pour suivre l’évolution des épidémies. Grâce aux biologistes et à leurs laboratoires implantés partout sur le territoire, la France dispose ainsi d’un maillage fiable et performant lui permettant de réagir rapidement aux événements, ce qui est un facteur essentiel dans ces situations, comme l’a montré l’étude publiée en décembre 2024 par l’équipe d’Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l’Institut Pasteur et au CNAM.

Enfin, une réalité contre-intuitive mais factuelle : les tests en laboratoire sont moins onéreux à mettre en œuvre que les TROD.

Améliorer la stratégie de diagnostic et la prise en charge

Compte tenu de ces éléments, les biologistes du SDBIO demandent qu’une réflexion de fond soit menée avec toutes les parties prenantes afin d’optimiser l’usage de ces différentes techniques, qui ont chacune leurs avantages et leurs cas d’usage.

L’articulation entre ces techniques, mais aussi entre les différents protagonistes (patients, médecins, pharmaciens et biologistes), doit être améliorée pour une plus grande efficacité de notre système de santé et une meilleure utilisation de ses financements.

Au vu de l’augmentation continue, d’année en année, des infections respiratoires aiguës, nous devons nous tenir prêts et améliorer notre réponse collective ainsi que nos bonnes pratiques.

Prendre, en conscience, des décisions stratégiques

Dans ce cadre, des choix stratégiques seront à faire en fonction des stratégies de dépistage et de surveillance adoptées. Ainsi, lors du COVID, la France a investi, à travers ses laboratoires de biologie de ville, dans la capacité de réaliser massivement des tests PCR pour dépister et diagnostiquer les infections respiratoires aiguës (grippe, bronchiolite, COVID-19).

À l’heure de la résurgence des grippes zoonotiques (grippe aviaire et porcine), et alors que tous les épidémiologistes nous annoncent de prochaines pandémies, veut-on démanteler ou maintenir cette capacité de tests PCR sur le territoire ? Le SDBIO souhaite des décisions claires et prises en conscience sur ce sujet stratégique pour notre capacité à réagir aux risques sanitaires à venir.