L'ACTUALITÉ

Affaire Cerballiance Normandie : le syndrome de la tour d’ivoire ?

18 septembre 2018

Jeudi 13 septembre, a eu lieu la première manche de la procédure de cassation que Cerballiance Normandie a engagée pour tenter d’échapper à l’application de la sanction qui, initialement, devait s’appliquer à partir du 15 septembre (voir les explications de l’affaire publiée le 10 septembre) : celle de la requête à fin de sursis à l’exécution de la décision du CNOP. Cerballiance a obtenu satisfaction sur ce premier point en obtenant ce sursis. Explications.

En attendant la décision de cassation

Pour mémoire, cette requête de Cerballiance visait, dans l’attente de la décision de cassation qui sera rendue ultérieurement, à suspendre temporairement l’application de la sanction si les juges devaient estimer à la fois que cette décision risquerait « d’entraîner des conséquences difficilement réparables » et que les moyens invoqués paraîtraient, « en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation de la décision juridictionnelle, l’infirmation de la solution retenue par les juges du fond ».

Une manche remportée, cette fois, in extremis, par Cerballiance Normandie.

Un jugement à peine motivé

Dans des conclusions d’à peine cinq minutes, le rapporteur public, sans guère évoquer la teneur des « conséquences difficilement réparables » qu’aurait une telle sanction (notamment pour l’un des deux biologistes, un retraité…), avait indiqué que les sanctions seraient, selon lui, disproportionnées par rapport au manquement retenu, notamment parce que le nombre de jours d’interdiction était supérieur à la durée du manquement…

Et dans son immédiat prolongement, la formation de jugement a rendu une décision à peine motivée, guère plus explicite sur les « conséquences difficilement réparables », et ajoutant, au nombre des « moyens sérieux », une « erreur de droit dans l’appréciation de la responsabilité personnelle de chacun d’eux ». Elle a aussi condamné les défendeurs au sursis (i.e. les biologistes plaignants) à verser 1500 euros à chaque requérant, ce dont les juges, en considération de manquements avérés, auraient évidemment pu s’abstenir (voir la décision du Conseil d’État).

Un jugement qui soulève de nombreuses questions

Les questions sur cette première décision du juge de cassation sont d’autant plus nombreuses que la réalité des manquements à l’origine de ces sanctions n’est aucunement contestée, et que ni les conclusions du rapporteur public, ni la motivation de la décision du Conseil d’État ne permettent de bien saisir la façon dont les juges ont appréhendé ce dossier.

Force est surtout de constater que les juges n’ont apparemment pas cherché à comprendre, ou compris, ce qui, dans cette affaire particulière, avait conduit les biologistes de la Section G, puis une majorité de non-biologistes du CNOP, à prononcer de telles sanctions effectivement rares, voire possiblement inédites en ce qui concerne un grand groupe de biologie médicale, et aggravées en appel après quatre ans de procédure : les risques pour la santé publique.

Mieux faire comprendre les enjeux lors de la procédure de cassation

Il reste donc, en vue de la seconde et principale manche de cette procédure de cassation, à mieux faire comprendre au Conseil d’État la nature de ces risques et leur gravité pour la qualité de l’offre  de soins, ce dont les professionnels de santé du CNOP avaient, pour leur part, été pleinement convaincus.

Mais quelle que soit l’issue de cette affaire, elle est essentielle et encourageante pour nous biologistes médicaux.

Une affaire révélatrice et encourageante

D’une part, elle met en pleine lumière et évidence les risques pour la santé publique que, comme le SDB n’a cessé de le dire, la violation de certaines règles d’organisation et de fonctionnement des SEL génère. 

D’autre part, la remarquable mobilisation et coordination des biologistes normands, qui s’étaient, dans un délai très court, placés en mesure de répondre à tous les besoins en offre d’examens - y compris d’urgence - qui ne seraient plus assurés par Cerba, prouve la grande résilience des biologistes indépendants et montre que, contrairement à ce qu’ils clament à l’envi, les grands groupes dominants ne sont pas « incontournables ».

Enfin, et surtout, alors qu’il n’est pas trop tard pour que les autorités publiques, et tout particulièrement le ministère de la Santé, réagissent, cette affaire met en exergue les limites de l’ultra-concentration qu’on a voulu imposer au secteur de la biologie libérale ; et démontre que, si rien n’est fait pour y remédier, il deviendra très difficile, demain, au risque d’une rupture dans l’offre de soins, et y compris en cas de manquements graves, d’appliquer quelque sanction que ce soit - et donc en amont d’imposer les règles applicables - aux grands groupes qui, dans des secteurs toujours plus nombreux, auront éliminé toute concurrence locale.

Dernière modification le mardi, 18 septembre 2018