Lors de son allocution du 24 novembre, le Président Emmanuel Macron a réaffirmé l’importance de la phase de dépistage de la Covid-19 dans la stratégie globale de lutte contre la pandémie et de la maîtrise des phases de déconfinement. Le SDB note avec intérêt qu’il a évoqué les tests RT-PCR et les tests antigéniques de manière bien plus en adéquation avec les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) que lors de sa dernière intervention et que les décisions du gouvernement de ces dernières semaines. Il est en cela cohérent avec son appel à agir et décider en s’appuyant sur les données scientifiques et non sur les mouvements d’opinion.
Cette évolution du discours officiel nous semble importante et salvatrice pour la suite de la gestion de l’épisode épidémique et sa maîtrise. En effet, les biologistes médicaux membres du SDB constataient avec inquiétude la dérive qui consistait à répondre à certains problèmes de délais de rendu de résultats constatés en septembre et octobre de manière localisée sur certains territoires pour les tests RT-PCR (et la plupart du temps résolus depuis) par un usage inapproprié des tests antigéniques. Il nous semble urgent d’en revenir aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) sur l’usage des tests antigéniques en attendant des progrès de ceux-ci.
Le SDB sait très bien qu’en prenant cette position, il sera taxé de corporatisme et de vouloir protéger les tests RT-PCR qui sont l’apanage des laboratoires de biologie médicale. Alors faut-il se taire ?
Notre devoir et notre responsabilité, en tant que biologistes médicaux, tous médecins ou pharmaciens spécialisés, est de rappeler les quelques vérités scientifiques reconnues et officiellement validées à ce jour par la HAS et par des études indépendantes concernant les techniques de dépistage.
Nous conjurons les autorités, les journalistes et autres observateurs de prendre en compte dans leurs décisions et leur commentaires les données à disposition et de bien mesurer les conséquences de leur non prise en compte. Il nous semble que dans la situation difficile qui est celle de notre pays aujourd’hui face à la pandémie, il n’y a pas pire attitude que d’ignorer la réalité des faits, même si celle-ci ne nous convient pas, et de s’en remettre à l’incantation.
Nous vous proposons donc ci-dessous une synthèse des données aujourd’hui disponibles et leurs sources.
Ce que l’on sait des tests antigéniques
Le principe du test antigénique
Contrairement aux techniques de recherche génomique par amplification de la cible (RT-PCR), les tests antigéniques recherchent une ou plusieurs protéines du virus par l'intermédiaire d'anticorps spécifiques sans amplification.
Avantage. Les deux principaux avantages de cette technique sont un temps de rendu théoriquement d'une trentaine de minutes (contrairement à plusieurs heures pour la PCR classique) et l’absence de matériel sophistiqué pour la mettre en œuvre.
Inconvénient : elle présente à ce jour une sensibilité bien plus faible que la RT-PCR.
Sur le problème de sensibilité
Les tests antigéniques sont des tests peu sensibles mais spécifiques (voir ci-dessous) :
- Cela signifie tout simplement qu’un test positif permettra de poser le diagnostic avec certitude.
- Mais à contrario, un résultat négatif ne sera pas concluant et devra être interprété avec toute la prudence nécessaire. En effet, les études du Centre national de référence (CNR) et de l’Hôpital Henri Mondor (AP-HP) évalue la sensibilité moyenne entre 66 à 74 % pour des charges virales significatives (définies comme ≤ 33 Ct en PCR). Cette sensibilité est encore plus basse pour les patients asymptomatiques (sous les 50%).
Cela signifie qu'une proportion non négligeable des patients déclarés négatifs à la Covid-19 avec un test antigénique… est en fait infectée. Le phénomène augmente pour les patients asymptomatiques.
On comprend dès lors mieux que les recommandations de la HAS réservent ces tests aux situations où il est difficile d’obtenir un test RT-PCR et dans des cas bien définis.
Le problème des faux négatifs est d’induire une fausse sécurité pour les patients : les tests faussement négatifs risquent d’avoir des conséquences importantes sur la propagation de l’épidémie. En effet, un patient porteur asymptomatique aura 8 fois sur 10 un test antigénique négatif. Rassuré, il risque de relâcher ses efforts concernant les gestes barrières et notamment le port du masque lors des réunions de famille, par exemple.
Le CNR, la Société Française de Microbiologie (étude rétrospective sur 3 000 échantillons), l’hôpital Henri Mondor (AP-HP), tous mettent en garde contre la mauvaise utilisation de ces tests.
Trois précisions sur les tests antigéniques
1 - Il existe actuellement 47 références de tests rapides antigéniques commercialisées consultables sur https://covid-19.sante.gouv.fr/tests
2 - Pour garantir un niveau de fiabilité suffisant, la HAS a défini des seuils minimaux de performance par rapport aux tests PCR de référence (voir l'avis de la HAS) ;
- une sensibilité clinique ≥ 80 % (pour limiter le nombre de faux négatifs) ;
- une spécificité clinique ≥ 99 % (pour s’assurer que les cas positifs soient bien des cas de Covid-19 et pas d’autres virus respiratoires saisonniers).
Or, selon une méta-analyse des études cliniques sur les performances diagnostiques de six tests rapides antigéniques réalisée par le laboratoire de virologie Henri-Mondor (AP-HP, Université Paris-est-Créteil, et INSERM) et publiée le 29 septembre 2020 :
- la sensibilité en moyenne des tests est de l’ordre de 66 à 74 % pour des charges virales significatives définies comme ≤ 33 Ct en PCR.
- la spécificité est comprise entre 93 et 100 % suivant les tests évalués.
3 – Les tests antigéniques aujourd’hui présents sur le marché souffrent d’une grande hétérogénéité de fiabilité suivant les tests et n’ont pas été évalués par le CNR.
Contrairement aux tests rapides sérologiques et réactifs de PCR ayant bénéficié d’une évaluation par le CNR, aucun test rapide antigénique n’a encore été évalué et validé par celui-ci. Les performances diagnostiques annoncées des tests rapides relèvent donc de l’unique responsabilité du fabricant, suivant des standards qui leur sont propres, en parallèle du marquage CE.
Ce problème de sensibilité explique principalement (il y a d’autres inconvénients secondaires de mise en œuvre que nous n’aborderons pas ici) pourquoi le SDB et les biologistes médicaux estiment qu’il serait important d’en rester aux recommandations de la HAS. Celles-ci tiennent en effet compte des faiblesses de ces tests antigéniques. Si ces derniers peuvent évidemment rendre service dans la lutte contre le virus, ils ne seront pleinement efficaces et non contre-productifs que s’ils sont utilisés dans les conditions adéquates.
A minima, la nécessité d’être prudent lors du rendu du résultat
En attendant une évolution de la doctrine du gouvernement, nous souhaiterions a minima que les résultats des tests antigéniques soient clairement accompagnés d’une interprétation qui tient (tienne ?) compte de leur faible sensibilité : tout résultat négatif ne doit pas être rendu « négatif » car il peut induire le patient en erreur…. Les messages délivrés aux patients devraient, à notre sens, avoir cette approche :
- Test antigénique positif : vous êtes contaminé par le virus avec une charge virale significative donc vous êtes contagieux. Dans cette situation, le test est fiable : il n'est pas nécessaire de le contrôler. Vous devez dès lors vous déclarer auprès de votre médecin pour que le contact tracing s'opère.
- Test antigénique négatif : un test négatif ne permet pas d'exclure le fait que vous soyez contaminé actuellement par le SarsCo-V2. Vous devez continuer à vous protéger et à protéger les autres en respectant les gestes barrières. En cas de symptômes évocateurs, vous devez vous rapprocher de votre médecin traitant et pratiquer un test RT-PCR plus sensible.
Les recommandations et la doctrine officielle
Rappel des recommandations de la HAS
« Aujourd’hui en France, le test RT-PCR sur prélèvement nasopharyngé reste le test de référence dans la détection du virus SARS-CoV-2. Mais la situation épidémique et les bonnes performances des tests antigéniques conduisent la HAS à positionner les différents tests pour trois situations cliniques : les patients symptomatiques, les personnes asymptomatiques contacts détectées isolément ou au sein de clusters et les personnes asymptomatiques qui vont être intégrées à un dépistage à grande échelle de populations ciblées.
En revanche, la HAS considère qu’il n’y a pas lieu aujourd’hui de réaliser de dépistage non ciblé en population générale, compte tenu de l’absence de bénéfice de ce dépistage et de son probable rendement très faible.
Trois situations cliniques distinguées
- Pour les patients qui ont des symptômes
Dès lors que le résultat du test RT-PCR ne peut être obtenu dans un délai de 48h, la HAS recommande de réaliser un test antigénique dans les 4 premiers jours après l’apparition des symptômes. La HAS restreint de 7 à 4 jours la fenêtre d’utilisation des tests antigéniques par rapport à son premier avis du 24 septembre car c’est la période durant laquelle ils sont les plus performants. Compte tenu de l’excellente spécificité de ces tests, elle considère qu’il n’est pas nécessaire de confirmer par un test RT-PCR les tests antigéniques positifs.
Pour les patients à risque de développer une forme grave de la maladie (patients de plus de 65 ans ou présentant au moins un facteur de risque, voire liste du Haut conseil de la santé publique), la HAS préconise de confirmer par RT-PCR les résultats négatifs obtenus par test antigénique. L’enjeu est de s’assurer de ne pas rater de cas d’infection chez ces patients. En outre, la HAS recommande que ces personnes consultent un médecin dès l’apparition des symptômes afin de mettre en place une surveillance renforcée et une prise en charge optimale. - Pour les personnes sans symptôme qui ne sont pas des personnes-contacts
La HAS reconnaît l’intérêt de l’utilisation des tests antigéniques dans le cadre d’opérations de dépistage à large échelle ciblant des populations au sein desquelles le risque d'infection est plus important qu’en population générale. Cela peut recouvrir des populations qui vivent, étudient ou travaillent dans des lieux confinés qui favorisent la transmission du virus à un grand nombre de personnes (universités, abattoirs, ...).
L’objectif est de débusquer les clusters. - Pour les personnes-contacts sans symptôme identifiées isolément ou au sein d’un cluster
En l’état actuel des connaissances, la HAS ne dispose pas encore des données nécessaires pour recommander l’utilisation de tests antigéniques pour les personnes-contacts (sans symptôme) et qui sont identifiées isolément ou au sein d’un cluster. Le test virologique RT-PCR reste le test à utiliser dans cette situation. La HAS est en attente des résultats de plusieurs études en cours qui devraient apporter prochainement des réponses à ces questions. »
Rappel des indications d’usage données par le gouvernement
L’Assurance maladie relaie sur son site ameli.fr la position du Gouvernement (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042430864
et https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042525251 ).
- « Les tests antigéniques sont prioritairement réservés aux personnes symptomatiques. Les tests doivent être réalisés dans un délai inférieur ou égal à 4 jours après l’apparition des symptômes.
NDLR : pas de restriction aux seuls cas où le résultat du test RT-PCR ne peut être obtenu dans un délai de 48h. Pas de recommandation de faire confirmer par RT-PCR les tests négatifs des personnes fragiles (patients de plus de 65 ans ou présentant au moins un facteur de risque - HAS)
- Les tests peuvent être utilisés pour des personnes asymptomatiques lorsque le médecin, le pharmacien ou l’infirmier l’estiment nécessaire. Ces personnes asymptomatiques ne doivent pas être cas contact ou détectées au sein d’un cluster.
NDLR : indication à l’inverse des recommandations de la HAS.
- Enfin, les tests peuvent aussi être utilisés dans le cadre d'opérations de dépistage collectif, organisées notamment par l'employeur ou une collectivité publique au sein de populations ciblées, en cas de suspicion de cluster ou de circulation particulièrement active du virus, après déclaration au représentant de l'Etat dans le département.
NDLR : conforme aux recommandations HAS.
Important : les tests antigéniques ne sont pas destinés aux personnes contact. Ces dernières doivent réaliser un test RT-PCR selon les délais recommandés. »
NDLR : conforme aux recommandations HAS.
Pour le SDB, nous le répétons, ces écarts entre les recommandations HAS et la position du Gouvernement peuvent engendrer un risque pour la santé publique. Ils soulèvent des problèmes éthiques notamment dans le dépistage des asymptomatiques et dans l’utilisation d’outils de moindre sensibilité sans inviter à utiliser en première intention des tests de référence plus sensibles lorsque ceux-ci seront disponibles dans les 24 heures comme le demande le Président de la République.
Les références
Arrêtés ministériels
Haute autorité de santé (HAS)
Avis de la HAS sur le positionnement des tests antigéniques dans la stratégie de détection du virus SARS-CoV-2Avis de la HAS sur le positionnement des tests antigéniques dans la stratégie de détection du virus SARS-CoV-2
Revue rapide HAS tests de détection antigénique Sars-CoV-2 / 8 octobre 2020
Etude SFM
Évaluation CHU Henri Mondor
Evaluation du test antigénique Abbott dans un cluster (Lyon)
Evaluation du Test Antigénique ABBOTT SARS-COV2 ABBOT
Article VIDAL (20/10/2020)
Dépistage de la covid-19 : les trod antigéniques désormais autorisés en ville
Article revue prescrire (30/10/2020)
Covid-19 : nouvelles données d'évaluation de tests antigéniques
Outil d’estimation statistique de la fiabilité des tests en fonction de la prévalence, sensibilité et spécificité